On pointe du doigt l'insalubrité des lieux ; on
parle beaucoup moins de l'insalubrité des méthodes employées pour
parvenir au nettoyage de ces mêmes lieux.
Au petit matin, une dizaine de cars de police bloque la circulation
des deux extrémités de la rue toujours endormie. Pose de barrières
métalliques, alignement des policiers derrière ; tout est prêt. On
frappe à la porte, et les habitants, africains pour la plupart, se
rendent compte qu'aujourd'hui c'est à leur tour de partir. On plie vit
les affaires, réveille les enfants, prévient quelques amis. Quand on
pointe le nez dehors, les caméras de la télévision suivent chaque
mouvement comme on suivra une bête dans la forêt. Un car, sièges
recouvert en filme plastique, est là pour emmener les familles et leurs
quelques affaires. Quelque part.
Nicolas Sarkozy, ministre de
l'Intérieur, avait cruellement prévenu : " Il faut fermer tous ces
squats... ", en réaction à trois feux mortels dans les squats et hôtels
meublés, en avril et août 2005. Quelque 976 immeubles insalubres sont
répertoriés à Paris, dont la moitié appartient à la municipalité via la
SIEMP (Société immobilière d'économie mixte de la ville de Paris). Les
raisons - et les déraisonnements - derrière cette déficience criante du
logement à Paris sont bien connus. Se trouvent mêlés à des degrés
divers et masqués par une indignation bien-pensante, un ministre en
quête de publicité, une spéculation immobilière sans limites apparentes
et la lenteur des procédures administratives d'amélioration de
l'habitat.
Treize immeubles ont donc été " évacués " au cours de
septembre et octobre 2005. Cela a commencé sur la rue de la Fraternité,
le jour de la rentrée scolaire, et a terminé sur la rue
Carrière-Mainguet où la Mairie a fini par rouvre au soir l'immeuble
muré au matin.
Les " expulsés " ont réagi les premiers, car si tout
a été prévu pour les déloger, rien n'a été prévu ou presque pour les
reloger : trois jours à l'hôtel au mieux, sinon renvoi vers le 115
(Samu Social). Il a fallu vite bâtir une défense. Les expulsés de la
rue de la Fraternité ont campé dans un square ; ceux de l'avenue Jean
Jaurès ont occupé un gymnase ; enfin, les expulsés du Gazomètre et
leurs soutiens ont bravé par trois fois les assauts policiers d'une
extrême violence. Chaque fois l'objectif a été simple : obtenir des
logements décents et pérennes.
Les associations ont fait de réelles
actions en défense des expulsés, mais se dissipaient aussi en querelles
de chapelle. A côté du DAL (Droit au Logement) gravitait une nébuleuse
de squatters politiquement radicalisés. Pour le DAL, " ces gens-là "
cherchaient à instrumentaliser les expulsés au bénéfice de leur lutte
politique ; les indépendants voyaient le DAL et les autres associations
comme des traîtres, inféodés à un PS honni.
Il aura fallu ce mois et
demi pour que les politiciens réagissent face aux dégâts politiques
infligés. Bertrand Delanoë a du confronter une fronde des Verts et
s'est fait malmener à un compte-rendu public au point de devoir rompre
la séance. Roger Madec, Maire du 19è, voyait son arrondissement tomber
dans l'anarchie. Le 7 octobre il s'est opposé publiquement à l'usage de
la force, suivi immédiatement par Bertrand Delanoë qui a demandé au
Préfet de "surseoir" aux expulsions. Ceci a été le coup d'arrêt pour
les expulsions à Paris intra-muros mais n'a pas empêché celle du
Gazomètre à Montreuil. L'expulsion de la rue Carrière-Mainguet (11è)
s'avérait en fin du compte avoir été une " erreur ".
Une des
revendications la plus insistante des gens expulsés était de pouvoir
rester dans leur quartier. Comme si, en les mettant ailleurs, leur
existence et leur identité souffraient. Des photographes comme Larry
Towell ont parlé de ce profond attachement entre lieu et identité
individuel, en soulignant comment les révoltes sont l'inévitable
résultât de la rupture du lien entre place et personne. L'horreur
programmatique tient là-dedans : en expulsant, on fait le pari
d'écraser, de vider les expulsés de leur identité individuelle. La
signification du projet photographique documentaire est diamétralement
opposée. Travailler sur la représentation de la mémoire et lui donner
corps, douloureuse ou pas, contribue à restaurer l'identité de ceux que
l'on cherche à tout prix à faire disparaître.
Reportage format 24x36 réalisé en septembre et octobre 2005
- en construction -